Un mardi midi de décembre à la paix

Writer // Antoinette Van Ham - Photography // Sébastien Van de Walle

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Il roule avec l’actualité et la grandeur des produits. Il aime qu’on comprenne sa cuisine avant de la juger. Ses sauces à base de coquillages crus sont une tuerie. Sa « Tartelette moscovite croustillante », un monde en soi aussi vaste qu’une campagne napoléonienne. Quand il invente le croissant végétal, c’est pour le marier à une pintade. Quand il sert le « Bœuf à la cuillère », c’est pour faire la nique à une vieille rengaine de sa clientèle, trop longtemps chérie et exaucée, « Bonjour, une côte de bœuf ! » 

Cette singularité-là, c’est David Martin, élu chef de l’année 2019 par le Gault & Millau, récompensé de deux étoiles au guide Michelin. Son univers, c’est La Paix, un fief on ne peut plus bruxellois pour un chef aux racines ancrées dans le Sud-Ouest français. De son héritage et de sa longue expérience largement plébiscitée dans la cuisson de la viande sous toutes ses formes et recettes, il a tout « baqué », enfin presque, pour donner un sens nouveau à ses assiettes, partager ses nouvelles créations avec une brigade qu’il éduque chaque jour davantage à la réflexion. « Ici, on n’est pas un centre Rank Xerox ! » Une recette, il ne suffit pas de la photocopier, il faut la comprendre. 

Ce mardi midi, le chef était d’humeur joyeuse, heureux de nous faire découvrir ses plats-signatures. Il ne faut pas se leurrer, « un grand chef n’en sort pas plus d’un par an », nous dit David, faisant référence à l’avis de son mentor Alain Passard. Ce midi-là donc. Nous débutions avec une première mise en bouche - un bonbon ! - « Rillette de maquereau et pistaches, poudre de livèche et yubeshi ». La salle était particulièrement belle sous l’effet d’un ciel belge faisant passer à travers les grandes fenêtres des ricochets de lumière qui conféraient à notre repas 7 services un côté très magrittien, tandis que le chef nous emmenait tout ailleurs en nous racontant qu’avec son compère Gert De Mangeleer, il avait écumé, à Bangkok et Kyoto, tout ce qui se faisait en matière de bouffe locale, les marchés en guise de petit-déjeuner, la street food le midi et les 10 top restaurants des World’s 50 Best, le soir. On ne revient pas pareil d’une telle expérience.

De sa cuisine ouverte sur la salle, David Martin a un point de vue très précis sur son public. Il est excessivement attentif à l’humeur de sa clientèle, en même temps qu’il donne ses directives de dressage. Le chef entretient la tension avec élégance pour que son équipe demeure constamment sur le qui-vive. Il veut de la cohérence. Chacun de ses plats passe un message. Chacune de ses assiettes retrace un peu de son ADN. Elles doivent se révéler lisibles même si leur contenu est en réalité archi-complexe. David nous présente le homard bleu de Bretagne, qui a été retiré du vivier sous nos yeux, simplement « cuit bleu », une femelle à la carcasse aussi belle et évasée que la céramique d’un artisan créateur. Il utilisera l’entière capacité de l’animal, depuis la pointe du céphalothorax servie presque crue, jusqu’à la partie ventrale qui fera un beurre, en passant par la face dorsale pour créer une sauce à cru. Une assiette à la mesure du sens perfectionniste de son auteur. De quoi nous réconcilier avec ce crustacé que nous avions relégué au rang des banalités de fin d’année qui n’ont plus pour elles que leur tarif exorbitant. 

La suite fut de la même veine, comme cette association aussi détonante qu’un « Pied de porc/bulots, céleri cuit en croûte de sel, 100 % truffes noires ». Terre et mer ? Non, non, non, ce serait beaucoup trop simple. Le chef a souhaité que je vérifie de mes propres yeux la découpe en lamelles ultra fines de son céleri « à effet boisé », parce qu’il doit présenter ces petites nervures comparables aux empreintes ou aux cernes qui marquent la découpe d’un tronc d’arbre. Ça fait toute la différence. Le pied de porc, lui, est basque, c’est une évidence, les bulots pas de n’importe quelle eau, bien en chair. Le nappage à la truffe noire joue l’effet de masque, son goût subtilement maîtrisé, et le reste n’est que plaisir !

David Martin nous a nourris ce jour-là de l’oxygène de la planète et nous sommes sortis en lévitation.

He keeps up with the times and the grandeur of the products. His dishes are extraordinary, inventive, teasing. He likes his cuisine to be understood before it is judged. 

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All this is David Martin, named chef of the year 2019 by Gault & Millau and holder of two Michelin stars. Although his roots are firmly anchored in southern-western France, his world revolves around the typically Brussels restaurant, La Paix. Drawing on his heritage and his many years’ experience of cooking meat in every form and style, he gives new meaning  to his dishes and shares his new creations with a team that he teaches day by day to reflect. It is, he believes, important to understand, not simply copy, recipes. 

That Tuesday lunch time, the chef was happy to show us his signature dishes. There’s no getting away from it, he stresses, a great chef does not bring out more than one such dish a year – a reference to his mentor, Alain Passard. So that lunch time, we savoured a delightful seven-course meal with a decided touch of Magritte. The chef brought each dish to us in person, telling us of his time in Bangkok and Kyoto when, together with Gert De Mangeleer, he explored the local cuisine, from markets at breakfast to street food at lunch time and the top 10 restaurants from the World’s 50 Best in the evening. An experience like this makes its mark.

From his kitchen overlooking the dining room, David Martin keeps a close eye on the mood of his guests while directing operations. He manages the tension with elegance, keeping his team on their toes. His aim is coherence. Each of his dishes conveys a message. They must be legible, even though in reality, they are extremely complex.  

David nourishes his guests from both land and sea. But that is to oversimplify. He urges his diners to consider each tiny detail. It makes all the difference. The result is uplifting.

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