1h22 avec… Isabelle Arpin

Writer // Boris Rodesch - Photography // Michel Verpoorten

MIVF9595.jpg

Isabelle Arpin est originaire du nord de France. La cheffe rejoint rapidement la côte belge pour travailler dans le restaurant gastronomique Auteuil à Ostende. Elle évoluera ensuite à Bruxelles chez Alexandre où elle récupèrera une étoile avant de contribuer au succès de Wy. Isabelle Arpin propose désormais sa cuisine particulièrement esthétique et explosive au Louise 345. 

Boris Rodesch a pris le Thalys avec la plus belge des gastronomes françaises. 

Tu viens souvent à Paris ?

J’ai vécu 4 ans à Paris pour étudier la finance. Depuis que je me suis installée à Bruxelles, j’en profite pour revenir plus souvent.

Tes premiers souvenirs à Paris ?

L’élégance, c’était beau et festif à la fois. J’avais une vingtaine d’années, j’adorais la mode et ma meilleure amie était mannequin. Je l’accompagnais souvent pour assister à ses défilés, mais surtout pour faire la fête. 

Ta première expérience en cuisine ?

Je venais de terminer ma quatrième année en finance. Je passais l’été à Bergues pour aider un ami dans son restaurant. Après deux jours en salle j’ai découvert la cuisine par hasard. J’avais des antécédents assez lourds. Pour te dire, j’avais tenté de cuire des spaghettis dans une cafetière électrique… Devenir cheffe n’était pas une vocation. Je n’avais aucune base, mais je voulais vraiment aider en cuisine. Je suis finalement restée plus d’un an dans ce restaurant.

Et tu as immédiatement pris goût au métier ?

Je découvrais aussi le métier en lisant le Thuries Magazine qui présentait des chefs étoilés. L’esthétisme des assiettes, cette dimension créative… J’étais à la fois surprise et séduite par la profession. J’ai changé d’avis pour la finance et je me suis inscrite à l’école hôtelière de Dunkerque afin d’avoir les bases et les diplômes. 

Plus tard, tu vivras 18 ans à Ostende… Pourquoi avoir choisi cet endroit ?

J’allais déjà passer des week-ends avec des potes quand nous étions adolescents. J’ai tout de suite adoré la ville, son atmosphère, son caractère à la fois populaire et artistique. Ostende a vraiment un cachet particulier. Sa luminosité, ses maisons de maître, le Thermae Palace Hotel et la Villa Royale… D’un point de vue esthétique, c’est le plus beau front de mer de la côte belge. 

Un stamp café à Ostende ?

Il y a le Copador, c’est un super bar à cocktail et je vais aussi souvent boire des verres à l’Entrepôt. La décoration avec tous les objets vintages, la musique… Ce bar est dingue !

Un restaurant favori ?

Chez Paulette ou le Yacht club. Sa terrasse sur le port en été est très agréable.

Ces 18 années passées à Ostende ont-elles laissé une trace dans ta cuisine ?

Un amour inconditionnel pour les crevettes grises, le caviar de la mer du Nord ! Il y a aussi de magnifiques poissons comme la plie ou la seiche, mais la référence absolue, c’est définitivement les crevettes grises.

La croquette aux crevettes… Une entrée qui compte ?

Particulièrement lorsque je travaillais à Ostende. Croquettes aux crevettes, sole meunière… Même dans un restaurant gastronomique, la clientèle tient à ses classiques.

Tu aimes revisiter les classiques ?

C’est un exercice qui me plaît énormément. J’adore revisiter les plats de mon enfance. Récemment, j’ai servi une langue de bœuf sauce gribiche. La langue et les abats dans un gastro… La clientèle est souvent réticente, mais en travaillant l’esthétique, je constate que les gens mangent aussi plus facilement. 

S’il fallait définir ta cuisine ?

Je mélange depuis toujours des goûts que d’autres ne penseraient pas nécessairement à associer. J’ai acquis très jeune une culture de la cuisine étrangère. Mes nombreux voyages, notamment en Asie, ont toujours une vraie influence. J’ai la réputation de proposer des assiettes colorées et particulièrement esthétiques. J’adore aussi mélanger les textures, c’est plus agréable, et surtout moins ennuyeux en bouche.

Tu inventes souvent des nouvelles recettes ?

C’est difficile à dire, ça ne vient pas comme ça. Je ne peux pas m’asseoir et me dire je dois trouver une nouvelle recette. J’ai pris l’habitude de noter les idées qui me passent par la tête. Mais ce que je préfère, c’est cuisiner à l’instinct. J’adore improviser un plat avec ce qu’il me reste dans le frigo.

Le bio ?

J’ai grandi à la campagne. Je me suis toujours nourrie de produits frais de saisons. Quand j’étais petite, c’était normal d’aller chercher une carotte au jardin pour la manger. Aujourd’hui le bio et tout ce qu’ils font autour… Cela me fait parfois bien rire.  

Ton plat signature ?

Je dirais que c’est la sphère de Comté. C’est très rare que je reprenne des plats, mais j’affectionne particulièrement cette recette. C’est un siphon très léger et fondant qui goute vraiment le Comté. Les clients sont friands et toujours surpris.

Tu participes au choix des vins ?

Bien sûr ! Je goûte tous les vins avec le sommelier et nous en discutons toujours ensemble.

Les vins nature ?

Je suis ouverte, mais je les trouve malheureusement très inégaux. 

Les vins nature ne font peut-être pas mal à la tête, mais ils font souvent mal au palais.

Ce que tu préfères dans ce métier ?

L’ambiance au sein de mon équipe. Au-delà de ce qu’on en retire soi-même, le plaisir d’échanger et de faire avancer les autres, leur transmettre mes propres valeurs et progresser ensemble, c’est magnifique !

Les émissions de téléréalité qui envahissent nos écrans…
C’est une vitrine énorme pour les chef(fe)s?

Je ne regarde jamais ces émissions, mais elles ont l’avantage de montrer la dure réalité du métier. Le public comprend que c’est un métier de passionnés. Il réalise  aussi que derrière une belle assiette, il y a surtout de la réflexion et énormément d’investissement. Nous faisons un métier surexposé et constamment soumis aux critiques. C’est une position très vulnérable. J’espère que grâce à ces émissions, les gens seront plus indulgents.

Tu gardes une vie en dehors de ta cuisine ?

Durant mes temps libres, je suis très rarement avec des chefs et j’évite d’aller manger dans des restos gastro. Je préfère fréquenter d’autres milieux, mes amis sont des peintres, des musiciens, des avocats ou des chefs d’entreprise… J’ai besoin de changer d’univers quand je ne travaille pas.

Quelles sont tes adresses fétiches à Bruxelles ?

Le Crab Club à Saint Gilles. J’adore goûter la cuisine de Yoth Ondara. Sinon, il y a toujours La Belle équipe dans le centre, leurs pizzas sont parfaites.

Une inspiration, un modèle parmi les chefs ?

J’adore la cuisine d’Olivier Roellinger qui travaille beaucoup les épices et les produits de la mer. J’ai profité de mes séjours golfiques en Normandie pour aller manger dans son restaurant à Cancale.

Le golf, le karting, l’équitation…
Une façon de te retrouver seule avec toi-même ?

C’est vrai que j’ai toujours apprécié les sports individuels. J’ai malheureusement arrêté le karting en raison de problèmes de dos. Je jouais moins au golf, mais depuis j’ai repris. Je suis toujours membre à Ostende, le seul links en Belgique ! - NDLR : En Golf un links est un terrain en bord de mer.

Quel est ton handicap ?

Je suis single handicap, en dessous de 10.

Quel serait le point commun entre le golf et la cuisine ?

Technique et rigueur.

Si tu devais choisir une personnalité pour faire un plat à 4 mains ?

Benoît Poelvoorde qui est un homme entier, authentique, avec ses forces et ses fragilités. 

Il est tellement talentueux dans plein de domaines. 

Culinaria, Dinner in the Sky, les cours
C’est important pour toi de garder des événements sur le côté ? 

C’est surtout une façon de faire des rencontres et d’échanger avec les personnes qui me suivent sur les réseaux sociaux et celles qui n’ont pas l’occasion de venir manger au restaurant. Ces activités me permettent aussi de sortir de ma routine.

Écoutes-tu de la musique en cuisinant ?

Très souvent et ça peut aller dans tous les sens. J’écoute de l’opéra, ACDC ou de la house, ça dépend de mes humeurs. Souvent, lorsque je commence un service, je mets mon casque, car j’ai besoin d’être dans ma bulle. On écoute aussi parfois du bon son pendant la mise en place avec l’équipe pour se détendre.

Quelle est la signification de ce #Blablabla sur ton Instagram… ?

Je déteste les longs descriptifs pour nommer un plat. Le client n’a toujours pas commencé à manger et il veut déjà aller se coucher. Je choisis généralement 3 ingrédients suivis d’un #Blablabla… C’est aussi une façon de laisser aux clients tout le plaisir de la découverte. 

Ta définition d’une jolie assiette ?

Une peinture colorée et graphique avec des volumes.

En 2016, tu étais sélectionnée dans une édition spéciale du guide Michelin consacrée aux femmes étoilées… C’était un geste important et significatif dans un milieu plutôt machiste ?

C’est génial pour les femmes cheffes qui sont souvent dans l’ombre. Cela permet surtout d’encourager les vocations et de faire comprendre aux jeunes filles que c’est possible pour elles aussi de devenir cheffe. C’était une jolie reconnaissance, mais d’un autre côté, il n’y avait aucune raison de nous dissocier des hommes. Un chef est un chef. On ne remet pas un prix Nobel différent aux femmes et aux hommes, pourquoi le ferait-on en cuisine ? Ce n’est pas plus dur pour une femme ou pour un homme d’obtenir une étoile. C’est le travail et l’investissement qui font la différence, comme dans tous les métiers.

Le stéréotype du chef désagréable qui gueule en cuisine ?

J’aime bien que l’équipe soit rigoureuse. J’ai l’air relax, mais je ne le suis pas tant que ça. Par contre je ne gueule jamais, c’est plutôt dans le regard. Ce genre de regard qui dit : « T’es vraiment mauvais…» C’est parfois pire qu’une grosse engueulade. Sinon, je souligne volontiers le travail bien fait par un sourire et je ne suis pas avare de compliments.

Que dois-tu à ton métier ?

L’amour des gens ! 

Pour conclure, s’il fallait me convaincre de venir manger au Louise 345 ?

Tu m’aimes… ?