face à la mer
Writer // Boris Rodesch - Photography // Alain Colard
La Route du Rhum est une course transatlantique en solitaire à la voile, courue tous les quatre ans, entre Saint-Malo et la Guadeloupe. Le 25 novembre 2018, Jonas Gerckens a bouclé sa première participation à l’épreuve mythique en 21 jours, 9 heures, 55 minutes et 15 secondes. Le skipper liégeois, qui s’est classé à la 14e position, battait ainsi le record belge de Michel Kleinjans, 15e en 2014.
Vous faites quoi en ce moment ?
Je suis en Bretagne pour récupérer mon bateau qui revient de Guadeloupe par cargo. Ensuite, je pourrai préparer la saison.
La séparation avec votre bateau nommé « Oufti » n’a pas été trop longue ?
Non, ça fait aussi du bien de prendre une pause.
Devenir skipper professionnel pour un Belge… ce n’était pas gagné ?
J’ai un parcours atypique puisque quand j’avais deux ans, mes parents ont choisi de nous emmener avec ma petite sœur faire un tour d’Europe en voilier. J’ai vécu en mer jusqu’à mes six ans. Ma mère était institutrice et elle nous donnait cours à bord. Ce n’est pas sur la Meuse que j’ai appris la voile (rires).
Vous vous êtes ensuite installés en famille à Saint-Malo…
Nous y avons habité jusqu’à mes dix ans. J’ai profité de cette période pour suivre des cours de voile. Cela fait aussi partie du programme scolaire en Bretagne. J’ai eu la chance d’assister à six ans au départ de la Route du Rhum. J’avais des étoiles dans les yeux et ça m’a vraiment donné l’envie de faire de la course au large.
À l’âge de dix ans, vous retournez vivre à Liège pour terminer votre scolarité…
C’est exact mais dès la fin de ma rhéto, je suis retourné en Bretagne pour suivre une formation de moniteur de voile et de spécialiste en composite (c’est tout ce qui touche à la construction des bateaux de course).
La première fois que vous pensez devenir skipper professionnel ?
À dix ans, quand j’assiste une deuxième fois au départ de la Route du Rhum et que Loïck Peyron m’invite à monter sur son bateau… J’ai vraiment eu le déclic. Depuis, j’ai toujours voulu devenir skipper professionnel, même si j’ai dû arrêter la voile pendant dix ans. En arrivant à Liège, mes parents m’ont inscrit en sport études. Je faisais du judo. Je suis issu d’une famille de sportif, mon père évoluait en équipe nationale d’athlétisme. Je n’étais pas très doué pour le judo mais j’aimais déjà l’esprit de compétition. Lorsque je suis retourné en Bretagne, je me suis directement intéressé aux compétitions de voile. Je ne voulais pas me contenter d’être le meilleur Belge et je tenais à percer au niveau international.
Aujourd’hui, vous êtes le numéro 1 de la voile en Belgique, c’est important ?
Le fait d’avoir battu le record belge à la Route du Rhum dès ma première participation est très encouragent. Mais je ne compte pas m’arrêter là, l’objectif pour la prochaine édition dans quatre ans sera d’intégrer le top 10. Il y a aussi les Jeux Olympiques à Paris en 2024, où la course au large fera sa grande apparition. Ce sera une chance unique pour les autres nations de briller, puisqu’il n’y aura qu’un seul équipage par pays.
Votre journée type sur la Route du Rhum ?
Il n’y en avait pas vraiment, c’est un rythme 24 heures sur 24 et cela dépend surtout de la météo. La gestion du sommeil est aussi essentielle. Je dormais 5 heures sur 24 heures par tranches de 20 à 30 minutes maximum. Je ne peux pas laisser le bateau « seul » plus longtemps pour des raisons de sécurité et de performances. Il faut modifier sans cesse les réglages pour toujours optimiser sa vitesse en fonction des changements de vent, etc. Je passais aussi beaucoup de temps derrière mon ordinateur pour gérer la stratégie météo grâce aux images satellites. En bref, on n’a pas le temps de s’ennuyer à bord. J’avais pris un bouquin mais je n’ai pas lu une seule page.
Ce qui vous a le plus manqué durant la course ?
En mer, on réalise qu’il n’y a rien de plus riche au monde qu’une douche chaude et un matelas sec (rires).
S’il ne fallait retenir qu’un moment ?
Il y en a plusieurs. Le départ avec plus de 300 000 personnes présentes sur les côtes, c’est un rêve de gosse qui se réalise. Il y a aussi les tempêtes, c’était stressant mais la mer en furie, les éléments qui se déchaînent, c’est tellement beau à voir. Et puis, il y a mon arrivée en 14e position avec moins de deux minutes d’avance sur le premier poursuivant. C’est la preuve qu’il ne faut jamais rien lâcher.
L’environnement est au centre de toutes les préoccupations, ça ajoute une cohérence à votre métier de skipper ?
Que ce soit au niveau du changement climatique ou de la pollution, nous sommes les premiers témoins. Nous avons donc le devoir de sensibiliser les gens et c’est aussi pour cette raison que je collabore avec « GoodPlanet Belgium ». Cette association travaille déjà avec plus de 350 000 enfants en Belgique. Nous organisons par exemple des actions qui visent à ramasser les déchets sur les plages et les enfants comprennent immédiatement qu’il est grand temps de réagir.
Un conseil aux plus jeunes en Belgique qui voudraient devenir skipper ?
Que ce soit pour devenir skipper ou dans la vie en général, ils doivent toujours croire en leurs rêves. Comme le dit si bien Oscar Wilde : « Il faut viser la lune, car même en cas d’échec, on atterrit dans les étoiles. »
Pour conclure, que puis-je vous souhaiter de meilleur pour 2019 ?
Aller toujours plus vite en mer et battre le plus de Français possible (rires). Plus sérieusement, continuer à battre les meilleurs résultats belges sur les différentes courses internationales et rester dans le top 10 mondial (NDLR : Jonas Gerckens est actuellement 7e au classement mondial Class40).