1h22 avec … Iliona
Writer // Boris Rodesch - Photography // Michel Verpoorten
Autrice, compositrice et interprète, Iliona Roulin est une artiste bruxelloise dont vous devriez entendre parler en 2021. Cette autodidacte de vingt ans, qui s’est signalée sur les différentes plateformes avec quatre singles — entièrement composés dans sa chambre — et autant de clips sortis en moins d’un an, signe son premier EP, « Tristesse », sous le label parisien Artside. Huit morceaux introspectifs teintés de mélancolie où se mêlent voix et piano, qu’il nous tarde d’écouter.
Boris Rodesch a pris le Thalys avec Iliona.
À 16 ans, tu écris, tu composes et tu interprètes une première chanson. Près de 5 années ont passé, et ton EP sort dans les bacs le 5 février. Si tu devais nous décrire ton parcours ?
C’était assez naturel, il n’y avait rien de calculé, je me suis rendu compte vers 15-16 ans que la musique était une évidence. Je ne pensais pas en faire un métier, car j’étais convaincue que pour évoluer dans le milieu artistique, il fallait vivre à Paris, ou changer de ville. Bruxelles, à l’époque, c’était une ville outsider. Aujourd’hui, c’est différent, elle est devenue à la mode. Plus jeune, je voulais me diriger vers le cinéma ou l’illustration. Je réalisais des vidéos, je dessinais et je jouais de la musique sur le côté. J’ai ensuite mis « Seul dans ma tête » sur YouTube, la première chanson que j’ai écrite et composée. Le morceau était naze, mais j’ai reçu beaucoup de messages d’encouragement, notamment de la part de professionnels. Le fait de pouvoir attirer l’attention des gens du métier m’a servi de déclic pour privilégier ensuite la musique.
Et lorsque tu obtiens ton diplôme de secondaires, tu décides de te lancer dans une carrière musicale ?
Tous mes amis ont entamé des études universitaires, la médecine, le droit, des études archisérieuses. J’ai tenté l’examen d’entrée à Saint-Luc en illustration, mais je n’ai pas été retenue. Je me suis inscrite en histoire de l’art à l’ULB. C’était très intéressant, mais ce n’était pas fait pour moi. Très vite, j’ai dit à mes parents que je voulais arrêter. J’étais perdue. Moi qui avais toujours été une élève modèle, c’était la panique. Mais leur réaction a été magique, « enfin tu as compris que tu ne ferais pas des études classiques. » Cela m’a permis de prendre une année pour me concentrer sur ma musique. J’ai rencontré Ana Diaz, qui avait besoin d’une choriste. Nous avons enchaîné les événements, nous sommes devenues amies et j’ai commencé à composer ses morceaux. Ça lui a plu et elle m’a demandé de produire toutes les chansons de son EP. La suite était une série de concerts, je l’ai accompagnée partout pendant un an avant de me concentrer sur mes projets. Composer pour elle était une excellente formation, j’ai appris énormément, mais je me sentais enfin prête.
Autrice, compositrice, interprète, que préfères-tu dans ce métier ?
Que ce soit au niveau de la musique ou des voix, mon obsession la plus forte, c’est la composition. Je me considère davantage comme une compositrice que comme une autrice. Peut-être parce que j’écris mes textes de façon plus légère et spontanée. Cela vient tout seul, tandis que la composition réclame davantage de travail. C’est à force de participer à des interviews que j’essaie de comprendre la façon dont je travaille parce qu’à la base, tout ça est instinctif. Écrire et composer, ce sont des moyens pour moi, d’une part, d’exprimer un sentiment, mais surtout, de l’expliquer et d’essayer de comprendre pourquoi je ressens cette chose-là, à ce moment-là. C’est vraiment ça qui m’intéresse, pouvoir comprendre quelles sont les différentes étapes de ma pensée qui font qu’à un moment donné, je ne me sens pas bien et que j’ai ce besoin de composer et d’écrire.
Ce qui signifie que tu es, a priori, plus productive — artistiquement parlant — lorsque tu n’es pas au top de ta forme ?
Oui. Au niveau des mélodies, je peux composer à n’importe quel moment, car il n’y a pas forcément d’émotion. Je peux même composer des mélodies joyeuses. Pour l’écriture, c’est autre chose. Je pense que je n’arriverai jamais à écrire une chanson joyeuse, sauf si je suis dans un studio en train de délirer avec des potes. Mais si je suis seule chez moi, dans un bon mood, je n’aurai rien à dire. On verra comment ça évolue.
Selon toi, un bon morceau dépend essentiellement de sa composition ?
Complètement, peu importe que les arrangements soient dirigés vers le hip-hop, l’électro ou l’acoustique, ils ne sauveront pas un mauvais morceau. C’est pour cette raison que les plus belles chansons, même avec des arrangements bizarres, restent les plus belles chansons.
Quelles étaient tes inspirations, plus jeune ?
J’écoutais essentiellement des chansons anglophones, car mes parents n’écoutaient que ça. Amy Winehouse, Lily Allen, Alicia Keys. Et aussi les Beatles. Plus tard, vers 15 ans, j’ai découvert la chanson française, notamment Barbara, qui est devenue très importante à mes yeux.
Tu sembles être une personne plutôt introvertie ?
Depuis toute petite, j’ai toujours été quelqu’un de très timide, et je m’ennuyais beaucoup. À l’école, dans les groupes ou dans les soirées, je n’ai pas eu une adolescence de folie. Pas parce que j’étais sage, mais plutôt parce que je m’en foutais des sorties. Disons que très vite, j’ai été saoulée d’être une ado, je préférais me concentrer sur mes trucs, quitte à snober un peu mes amis.
À quel âge commences-tu le piano ?
Je devais avoir 8 ans. Le solfège par contre, je suis passée à côté. J’ai un peu appris, mais j’ai vite oublié.
Quelle relation entretiens-tu avec cet instrument ?
J’adore jouer au piano, mais je n’ai jamais considéré avoir un bon niveau. J’y suis surtout attachée parce que je ne peux pas me passer de la composition. C’est l’instrument que je maîtrise le mieux et il m’aide à aller vite. Pour mes premières promos, on m’a proposé un pianiste. Je m’étais dit que j’accepterais, mais mon entourage m’a assuré que j’étais capable de le faire moi-même. J’avais des doutes, je pensais que je n’étais pas à la hauteur. Finalement, j’essaie de faire au mieux. Lorsque je suis à Bruxelles et que je passe des soirées entières à jouer sans m’arrêter, je sens qu’il y a un truc qui se débloque. Le piano, c’est de la pratique, c’est en passant des heures dessus que ça finit par rentrer.
Tu gères ton univers créatif, seule dans ta chambre à Bruxelles. C’est une façon de garder le contrôle ?
J’ai eu des expériences en studio, mais ça ne me ressemble pas du tout, je n’arrive pas à être moi-même. Je pense même que ça freine ma créativité. Je suis quelqu’un d’assez timide et le simple fait de me retrouver avec des autres me demande un effort. Être seule dans ma chambre pour travailler sur mes chansons, c’est ce qui me correspond le mieux. Je m’offre plus de liberté, je n’ai peur de rien et je reste fidèle à moi-même.
Y a-t-il une certaine routine qui s’installe ?
Je m’installe devant mon piano avec mon ordi et mon casque vers 23 heures jusqu’à 4-5 heures du matin. C’est systématique et c’est affolant, j’ai vraiment un réveil interne qui me pousse à me mettre au travail tous les soirs.
Garder cette autonomie, c’était un critère décisif dans le choix de ton label ?
C’était la priorité. J’ai été contactée par plusieurs labels durant le premier confinement. J’étais au téléphone toute la journée, c’était un peu l’angoisse, comme si j’étais en train de jouer ma vie. J’étais paumée et puis Artside m’a contactée. C’était la première fois que j’avais l’impression de m’entretenir avec un être humain. J’exagère à peine, je les trouvais bons et sains à la fois. C’est une structure hyper familiale, très humaine et très respectueuse de mes choix et de mes envies.
En rejoignant Artside, ton processus créatif a-t-il évolué ?
Non, je garde le contrôle sur les compositions, les arrangements et les visuels, que ce soit pour la pochette ou pour les clips. La différence se situe davantage sur comment défendre mes titres. Désormais, je bénéficie d’une équipe qui m’aide à réaliser mes idées avec plus de moyens, et qui gère aussi la presse.
Quel est ton premier souvenir à Paris ?
C’était avec mes parents, ma mère a toujours dit qu’elle irait vivre à Paris. On y allait plusieurs fois par an avec mon petit frère, en mode touristes.
Et très vite, la ville évoque pour toi une sorte de passage obligé ?
Oui, il n’y a rien à faire, c’est encore vrai aujourd’hui. Il ne faut plus forcément être Parisienne, mais il faut avoir un pied dans Paris pour attirer l’attention.
Tu viens souvent à Paris ?
Je suis un peu obligée. Ce n’est pas trop loin, ça ne me dérange pas, mais je ne pourrais pas y vivre. J’aime bien l’idée que toute la création reste à Bruxelles. Devoir défendre à Paris ce que j’ai créé chez moi ne me dérange pas du tout. C’est plus facile de dissocier les deux.
A contrario, tu es très attachée à Bruxelles, qui occupe une large place dans tes clips ?
C’est vrai, je lui fais beaucoup de clins d’œil. Pourtant, j’ai longtemps détesté Bruxelles, je la trouvais morte et ennuyeuse. C’est parce que j’y suis moins maintenant que je commence à l’apprécier.
On entend souvent dire que Bruxelles est cruelle avec ses artistes ?
Je ne pense pas que Bruxelles soit cruelle avec ses artistes. Je côtoie le milieu de la musique depuis peu, mais je suis plutôt séduite par la dynamique. Il y a énormément de concerts, les médias s’intéressent aux artistes, et puisque le centre-ville est assez petit, il suffit de se balader en soirée pour tomber sur plusieurs concerts. Lorsque je jouais avec Ana, nous avons rencontré énormément de gens, des flamands, des francophones, de styles et d’horizons très différents. Il y a une sorte de bienveillance entre les artistes, sans aucune compétition. Tout le monde fait son chemin. Je pense que cela est aussi dû au fait que Bruxelles reste un outsider par rapport à Paris. Au niveau des francophones, on considère tous que Paris est la capitale pour réussir. On se donne de la force entre artistes belges pour réussir en France, il y a une belle solidarité et une vraie complicité.
La presse française n’hésite pas à t’annoncer comme la prochaine Angèle… Tu le comprends ou ça t’énerve ?
C’est un raccourci facile. Nous avons un parcours un peu similaire, mais cela me fait bien rire. C’est impossible qu’un jour quelqu’un refasse le même buzz qu’Angèle. Elle a vécu un truc de fou, je ne suis pas certaine d’avoir les épaules pour ça, ni même d’en avoir envie.
La notoriété, c’est quelque chose qui te fait peur ?
Oui, c’est étrange, car en tant qu’artiste, on en rêve depuis toujours. Mais plus ça avance, plus ça fait peur. Au regard des succès stories, tu ne vois pas le travail qu’il y a derrière, tu ne réalises pas la déshumanisation autour d’un artiste, le fait que sa vie change radicalement. C’est aussi pour cette raison que je respecte autant Angèle. Tout ce qu’elle a réalisé en deux ans avec une telle pression, et en restant fidèle à elle-même... J’espère qu’elle va bien (rires).
Si tu devais nous présenter ton EP, « Tristesse » ?
Il se compose de huit morceaux, qui sortent donc tous de mon ordinateur dans ma chambre à Bruxelles. Certaines chansons ont des productions plus rap ou électro, d’autres sont plus acoustiques, mais l’essence de mes compositions se rapproche clairement de la pop. Je pense que je ne le regretterai pas, car j’ai été la plus sincère possible.
C’est un premier bébé, comment appréhendes-tu sa sortie ?
J’ai l’impression qu’il est déjà sorti. C’est très bizarre, quand on sort un morceau ou un projet, on a travaillé dessus pendant des mois, et lorsqu’on décide de l’envoyer sur les plateformes, il y a déjà quelque chose qui se relâche. On ne pense pas du tout aux retombées. Quand je sors une chanson, je me dis juste que c’est fini, et je suis à chaque fois super étonnée d’avoir des retours.
Les premiers retours sont excellents, tu as même pu compter sur l’appui de Benjamin Biolay, qui a partagé « Moins joli » sur ses réseaux. Es-tu attentive à l’engouement que tu suscites ?
Benjamin Biolay, c’est un très grand nom de la chanson française ; qu’il apprécie ma musique est super gratifiant. Pour le reste, je vois tout passer, mais je ne prends rien au sérieux. Mon cerveau n’arrive pas à enregistrer les infos. J’ai été invitée à chanter sur le plateau de l’émission C à vous, et je n’y crois toujours pas. La TV, on la regarde dans le salon de mes parents, ce n’est pas la vraie vie. Les retours médiatiques, c’est comme si on me les racontait, mais qu’ils n’existaient pas vraiment.
Un mot sur le rôle des réseaux sociaux dans l’éclosion des artistes ?
Je les vois comme un outil supplémentaire. Les réseaux sociaux, c’est bien et horrible à la fois. Il faut les utiliser de la bonne façon sans trop s’y attarder. Au même titre que les arrangements, ils ne peuvent pas sauver un mauvais produit. Cela ne sert à rien de faire une communication de fou si tu n’as pas un bon produit à défendre. J’essaie qu’ils soient cohérents par rapport à mon univers musical.
Les concerts devraient se multiplier, mais le Covid-19 en a décidé autrement…
Éprouves-tu une légère amertume ?
C’est un vrai problème, même si personnellement, j’ai de la chance. Je suis au tout début de ma carrière et ce n’est pas si grave, puisque je n’ai pas encore touché à la scène. La crise sanitaire ne fait que retarder l’échéance et ça me laisse le temps de me préparer. Mais c’est clair que ne pas pouvoir rencontrer son public, ça nous éloigne de la réalité et ça nous empêche de savoir où on se situe.
Y a-t-il une scène qui te fait rêver ?
J’ai très envie de jouer à Bruxelles. J’ai vu tellement de concerts à l’Ancienne Belgique et au Botanique. J’aimerais pouvoir y jouer et surtout rencontrer le public bruxellois.
Pour conclure, dans un monde où le coronavirus serait un lointain souvenir, quelle serait ta soirée idéale ?
Rassembler tous les gens que j’aime dans un endroit vivant, n’importe où, au centre-ville à Bruxelles ou à Paris, et pouvoir se balader dans la rue, de bar en bar.
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