1h22 avec… Florence Mendez
Humoriste, chroniqueuse en radio, en télévision et en presse écrite, cette ancienne enseignante bruxelloise doit son succès naissant au stand-up. Dans la lignée d’Alex Vizorek ou de Guillermo Guiz, celle qui s’apprête à conquérir Paris avec son premier spectacle, « Délicate », sera présente en septembre au Kings Of Comedy Club à Ixelles.
Boris Rodesch a pris le Thalys avec Florence Mendez
Pour quelle raison vous rendez-vous à Paris aujourd’hui ?
Je vais jouer mon spectacle pour la première fois. On verra si les Parisiens vont me jeter des cailloux ou des chaises. J’avais déjà joué en France lors du Festival Performance d’Acteur à Cannes, le public était surpris mais ça s’était plutôt bien passé.
En 2016, vous étiez professeur d’anglais et de néerlandais en secondaire… Tout a été très vite !
J’étais encore professeur lors de ma première scène, le 21 mars 2016 au Kings Of Comedy Club. J’ai essayé de continuer le plus longtemps possible en passant par plusieurs écoles, mais c’était vraiment compliqué. J’ai arrêté ce métier en septembre 2017.
Pour quelles raisons avoir choisi le métier d’enseignante ?
J’ai toujours eu un super contact avec les adolescents. Lorsque je me suis séparée de mon compagnon à 25 ans, j’ai repris une formation en langues. Avec le recul, je ne ferais pas professeur, mais plutôt éducatrice. Cette relation hiérarchique et asymétrique avec les gamins ne me convenait pas. Les contraintes du programme ne me permettaient pas de leur apporter ce que je voulais. Au-delà de leur enseigner les langues, je tenais à ce qu’ils soient épanouis, mais le système est tellement pourri, je ne pouvais plus le cautionner. Si je suis honnête avec moi-même, mon deuxième spectacle dénoncera les limites du métier d’enseignante et surtout, du système.
Pensez-vous aux ados lorsque vous écrivez vos blagues ? Voudriez-vous qu’ils soient présents dans le public ?
Je ne pense pas qu’ils aient déjà le second degré et le recul nécessaires. Je ne voudrais surtout pas les blesser, sachant que lorsque j’étais prof, ce sont eux qui m’aidaient à tenir le coup. J’ai fini ma première année en burn-out car j’étais dans une école qui en demandait trop à ses profs, mais aussi parce que, émotionnellement, je ne suis jamais parvenue à mettre une distance avec les gamins. Je les aimais et je ne supportais pas de voir leurs rêves se briser. Faire doubler un ado pour le néerlandais en sachant qu’il veut faire des études artistiques, cela n’a aucun sens.
Quels sont vos premiers souvenirs de Paris ?
Fernando Botero. Je devais avoir 4-5 ans quand je suis allée à Paris pour la première fois. Ses sculptures étaient exposées partout dans la ville. Il y a aussi eu ma rencontre avec le Louvre où j’ai tout de suite senti qu’il se passait un truc. C’était pareil lorsque j’ai découvert la peinture de Gustave Klimt et les œuvres de Salvador Dalí à Oviedo, j’ai vraiment ressenti une sorte d’orgasme artistique.
Quels étaient vos modèles ou vos principales inspirations ?
Le premier spectacle auquel j’ai assisté était celui de François Pirette. Si je le trouve humainement assez détestable, il m’avait impressionné et même fait beaucoup rire dans le choix de ses personnages. J’ai ensuite découvert l’incontrôlable Florence Foresti dans son sketch « L’avion de Barbie », j’étais pliée. Il y a aussi eu Gad Elmaleh. Qu’est- ce qu’il m’a fait rire, même si maintenant, on déchante beaucoup. Dommage qu’il ait perdu le goût du challenge. Désormais, il fait des prouts avec ses bras et tout le monde rigole.
Ces histoires de plagiat ont-elles fait du mal à la profession ?
Elles ont entrainé un certain scepticisme de la part du public. Lorsque je poste des vidéos sur les réseaux sociaux où je parle de la maternité, on me compare immédiatement à Florence Foresti. Elle n’a pourtant pas l’exclusivité sur le sujet. C’est la même chose quand je fais de l’humour dépressif et que l’on m’accuse d’imiter Blanche Gardin. Cela va très vite. Spécialement en tant que femme, car les gens ont tendance à nous comparer. Je peux pourtant vous assurer que la première chose que l’on fait avant d’envisager une vanne sur la maternité, c’est de regarder le spectacle de Florence Foresti, « Mother fucker ». Aujourd’hui, des gens qui n’y connaissent rien en stand-up se positionnent comme critiques et nous accusent de copier ou de n’avoir aucune identité. Ces histoires ont fait du mal à la profession, c’est évident. C’est même devenu un stress. Je suis par exemple victime du syndrome de l’imposteur, ce qui signifie que quand je trouve une blague, je me dis qu’elle est trop drôle pour être de moi.
Y a-t-il selon vous un humour féminin ?
Non, comme il n’y a pas non plus un humour masculin. Il y a un regard différent apporté par les femmes parce que nous avons une expérience différente de la société. Il y a naturellement des traits communs puisqu’en tant que femmes, nous subissons des choses et vous en subissez d’autres. On parle par exemple différemment de la maternité, mais rien ne dit que l’on doit parler de maquillage et de coiffure, il n’y a aucun code. Cela m’insupporte que l’on puisse parler d’un humour féminin.
Et si vous deviez définir votre humour ?
J’ai un humour cash et militant.
Vous utilisez l’humour comme une sorte d’exutoire ?
Pour pouvoir jouer sur son côté exutoire, il faut d’abord régler ses problèmes. J’ai un parcours qui n’a pas été facile, j’ai eu une maladie mentale qui était très difficile à vivre. Je faisais des crises de panique à répétitions très violentes et complètement incapacitantes. Cela m’est tombé dessus à 30 ans. Au lieu de fonctionner de façon utile, mon cerveau m’envoyait systématiquement de fausses alertes. Je vais étouffer, mon cœur va exploser, je vais crever… Le caractère exutoire de l’humour, ce sera pour mon prochain spectacle. Je veux pouvoir traiter cette maladie avec du recul. Mon mec m’a quittée, j’ai perdu mon boulot et je ne pouvais plus m’occuper de mon fils… Je me suis battue comme une folle contre la maladie et je m’en suis sortie. Si un jour je deviens célèbre, je veux pouvoir dire aux gens qu’il y a un moment on l’on pète tous les plombs. Il faut comprendre que la maladie mentale vous tombe dessus sans prévenir et que son caractère tabou la rend encore plus difficile à soigner.
Chroniqueuse à la radio sur la Première ou sur Radio Contact, en presse écrite avec votre chronique Cash Test pour le Vif, humoriste en stand-up… Quel est le dénominateur commun entre vos activités professionnelles ?
Ce que j’ai toujours fait de mieux, m’exprimer oralement et par écrit. Disons que c’est l’expression. Quand je suis en mode écriture, c’est facile de délivrer mon texte car je mène la danse. C’est un exercice très spontané qui me convient bien. Je dis aussi volontiers que je suis une humeuriste.
Quel est ton processus dans l’écriture ?
Je suis beaucoup moins assidue que d’autres. J’utilise énormément les notes sur mon téléphone pour retenir mes idées. Je suis aussi très contemplative, j’observe avec tous mes sens et je travaille simultanément dans ma tête. Je réfléchis à toutes mes idées jusqu’au moment où j’ai le déclic, tout se met alors en place et je commence à écrire, mais ça peut prendre beaucoup de temps.
Vous ne seriez jamais devenue humoriste si... ?
Si mon ex-compagnon ne m’avait pas quittée. Il me disait que je n’étais pas drôle et que je ne pourrais jamais en faire mon métier. Après avoir surmonté cette rupture, mais aussi ma maladie mentale, je me suis dit : j’en ai rien à foutre, je peux tout faire ! Désormais, j’ai envie de dire aux femmes, on s’en fout de ce que votre mec pense, foncez et faites les choses comme vous le sentez. Ne laissez personne vous dire ce que vous devez faire de votre vie et surtout pas la personne avec laquelle vous la partagez.
Quelles ont alors été les personnes clefs ?
Dan Gagnon, c’est un chirurgien du stand-up, il est incroyablement talentueux. Nous nous sommes rencontrés via les réseaux sociaux. Il me trouvait drôle et il m’a demandé d’écrire pour le « Dan Late Show ».
Parler d’un humour belge a-t-il encore du sens et quelle serait sa définition ?
L’absurde, l’autodérision et l’impertinence. L’avantage d’être belge, c’est de ne pas voir une grande histoire derrière nous. On se fout de notre propre gueule parce que nous avons conscience de vivre dans un pays complètement absurde. Nous profitons aussi d’une certaine liberté pour dire les choses. L’absurde est notre langue maternelle. On est quand même dans le pays où Manneken Pis pisse de l’eau potable… C’est extraordinaire !
Vous êtes aussi occupée à écrire un premier roman ?
J’adore écrire et encore une fois, je suis très instinctive et très spontanée. Je n’ai donc pas de plan pour ce roman. J’ai des pages entières bien écrites. S’il y a bien une qualité que je me reconnais, c’est celle de bien écrire. J’ai d’ailleurs reçu de beaux encouragements de la part de Myriam Leroy et d’Adeline Dieudonné. Ce n’est pas rien ! Elles m’ont encouragée à continuer, mais il y a encore énormément de boulot. Au niveau du scénario, c’est une catastrophe.
Un mot sur le thème général ?
C’est très sombre et un peu autobiographique. Cela m’épuise de rentrer dans l’écriture de ce roman. C’est un exercice physique qui me demande un effort que je ne ressens pas dans l’écriture humoristique. Je vais chercher au plus profond de moi-même, j’écris de façon brute avec mes trippes et ça fait mal.
Vous avez un parcours similaire à ceux de Thomas Gunzig, Myriam Leroy, Alex Vizorek ou Guillermo Guiz… Avez-vous l’impression qu’ils vous ouvrent la voie ?
Complètement. Je n’aurais jamais osé imaginer pouvoir rencontrer Myriam Leroy. C’était lors d’une émission à la radio, je devais faire une chronique et elle était sur le plateau. Elle m’a envoyé un message pour me féliciter. Depuis, une amitié est née. Avoir la chance de côtoyer ces gens talentueux et profiter d’une telle proximité, c’est un truc typiquement belge et c’est une chance extraordinaire. C’est une forme d’humilité à la belge où tout le monde reste très accessible et personne ne prend la grosse tête. C’est très encourageant pour les jeunes artistes.
Jouer votre spectacle à Paris… C’est évidemment tout autre chose ?
La pression est très différente, c’est clair. À Paris, il y a 570 spectacles tous les soirs ! Pourquoi les Parisiens se déplaceraient-ils pour assister au mien ? Comment ne pas se demander si ce que je propose est vraiment meilleur que les autres ? Est-ce que j’ai eu de la chance jusqu’ici avec un public moins exigeant ? Suis-je vraiment drôle ?
Pourquoi a-t-on toujours besoin de cette validation française ? La Belgique est-elle si cruelle avec ses artistes ?
La Belgique n’a surtout pas la moindre idée des talents qu’elle génère. Prenez la RTBF, qui a pignon sur rue, ce sont les mieux placés pour mettre en avant leurs talents, mais les contrats de pigistes qu’ils proposent aux humoristes, c’est honteux. En résumé, ils peuvent vous jeter du jour au lendemain. Si je compare avec la France, dès mon arrivée à Canal+, ils m’ont sécurisée avec un contrat CDD pour une saison, c’est le minimum.
Rejoindre le Bureau des Auteurs de Canal+ à Paris, c’est la grande classe…
Débarquer dans les locaux de Canal+ au milieu des costumes de Groland et avoir la chance de travailler dans les anciens bureaux d’Omar et Fred, c’était dingue. J’ai été biberonnée aux Snuls et aux Nuls grâce à mon père, qui est un grand fan. « La cité de la peur » est de loin le film que j’ai le plus vu. Les Nuls ont un humour très belge, con et absurde. Tout ce que j’aime.
Vous travailliez sur quel programme à Canal+ ?
J’ai travaillé pour le JT Pressé entre le mois de janvier et le mois de juin 2019. J’écrivais pour les autres, mais c’était très gai car nous le faisions en équipe. Je me souviens lorsqu’ils sont venus me chercher. Seriez-vous tentée par le Bureau des Auteurs à Canal+ ? Ah non, j’ai déjà un contrat avec Télé Libramont (rires). J’avais du mal à y croire.
La multiplication des chroniques humoristiques, c’est positif pour le métier ou cela risque-t-il d’entrainer un humour trop convenu ?
C’est positif. Il faut plus que jamais donner la parole à des contre–penseurs. Surtout à une époque où les extrémistes sont banalisés et que l’on invite trop souvent l’extrême droite à débattre. Mon travail d’humoriste, c’est aussi de dire aux gens que ce qui leur semble normal et qui devient de plus en plus dangereux ne l’est pas. Par contre, il ne faudrait pas que l’on se lasse de cet exercice, car il est essentiel. Particulièrement en télé et en radio, où il faut des fous du roi pour dire ce que les journalistes ne peuvent pas dire.
Si vous deviez choisir une personnalité pour être coincée dans le Thalys ?
Ryan Gosling (rires). Plus sérieusement, l’auteur de Harry Potter, J.K. Rowling. Depuis que je suis petite, je veux devenir célèbre pour pouvoir la rencontrer.
Le métier d’actrice pourrait-il vous tenter ?
J’y pense tous les jours. J’ai déjà passé des castings, mais je n’ai pas obtenu les rôles. C’est l’intensité des émotions qui m’emballe au cinéma. Je suis une sorte de droguée aux émotions.
Quelles sont vos autres passions ?
Me promener avec mon fils et mon chien dans la nature.
Ce qui vous énerve le plus ?
Jean-Marie Bigard et toute cette vague d’humour raciste et sexiste.
Pour conclure, quels sont vos projets pour la rentrée ?
Je jouerai deux fois par mois au Kings of Comedy Club. Alex Vizorek ne m’a pas du tout mis la pression en me disant qu’ils misaient tout sur moi cette année…
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