1h22 avec… Cyril Dion

Writer // Boris Rodesch - Photography // Sébastien Van de Walle

Comédien, réalisateur, écrivain, poète, militant et activiste écologiste, après avoir coréalisé Demain avec Mélanie Laurent, Cyril Dion présente Animal. Son deuxième long métrage, qui s’intéresse à la biodiversité et à la sixième extinction de masse.

Boris Rodesch a pris le Thalys avec Cyril Dion

Quel est le lien entre vos diverses activités professionnelles ?

Mon activité professionnelle, c’est de créer, et accessoirement, de raconter des histoires qui soient touchantes et qui adoptent un point de vue généraliste, puisque je ne suis pas du tout un spécialiste. 

Vous venez à Bruxelles pour présenter en avant-première Animal. Quel est le pitch ?

C’est l’histoire de Bella et Vipulan, deux adolescents de seize ans qui ont l’impression qu’ils n’ont pas d’avenir, et qui cherchent d’autres voies et d’autres stratégies pour faire en sorte que cette planète reste habitable.

(NDLR : Bella Lack est anglaise, Vipulan Puvaneswaran est français).

Vous dites : « L’objectif principal de ce film est d’éveiller le désir profond de défendre la vie » ?

Ce qu’on voit dans le film, c’est que Bella et Vipulan sont finalement dans une crainte de la mort. Ils ont peur de l’effondrement des espèces, peur que la planète se réchauffe tellement, qu’effectivement, une partie des gens ne puissent plus l’habiter. Ce sont donc des logiques mortifères. Le but du film, c’est d’éveiller en nous des élans de vie, d’opposer des dynamiques de vie à des dynamiques de mort. Et il se trouve que là, oui, réveiller le vivant en nous, c’était montrer des gens formidables, qui font des choses formidables, mais c’était aussi interroger notre relation au reste du monde vivant, aux forêts, aux animaux sauvages. Se poser la question de comprendre en quoi notre relation au reste du monde vivant est responsable de la situation dans laquelle nous sommes aujourd’hui et est, potentiellement, une clé pour construire un monde soutenable, vivable pour les années à venir.

Contrairement au film Demain, où vous aviez choisi de vous mettre en avant, dans Animal, vous restez derrière la caméra ?

C’est surtout parce que je voulais raconter l’histoire de ces deux adolescents. J’ai participé à des marches pour le climat, dans plusieurs pays, avec plein de jeunes. En France, le jour où Greta Thunberg est venue, il y avait un petit contingent de Français dont Vipulan faisait partie. Lorsque j’ai commencé à discuter avec eux, ça m’a fait un drôle d’effet de me dire qu’à 16 ans, ils pouvaient avoir peur de ne pas avoir de futur du tout. Parce que d’une certaine manière, quand il y a une guerre ou un événement tragique, on se dit toujours que ça finira par s’arrêter et qu’on va reconstruire. Mais dans ce cas-ci, si la planète devient réellement inhabitable, il n’y aura pas de reconstruction possible, pas de retour en arrière, donc pour eux, c’est quand même extraordinairement tragique. C’est pour cette raison que j’avais envie de raconter cette histoire-là, pour comprendre ce qu’il se passait dans leur tête. Je voulais aussi, à la façon d’un grand frère, les emmener à la rencontre de gens, dans un voyage où ils pourraient essayer de retrouver un horizon possible. Et cet horizon, il tient justement, selon moi, à la question du vivant, c’est notre seul salut.

Si vous deviez retenir un moment fort du tournage ?

Il y a eu plein de rencontres bouleversantes, mais la personne qui m’a le plus influencé, c’est Baptiste Morizot. Et ce fut aussi le cas pour Bella. Quand elle a eu cette discussion avec Baptiste, qui lui a dit que protéger le monde sauvage, c’est protéger les êtres vivants dont nous faisons partie, mais aussi qu’on ne parviendrait pas à aider les êtres humains, et encore moins à les changer, en les haïssant, elle lui a répondu : « That’s a good point ». Cela a été une immense bascule pour elle. Aussi, quand nous étions en Inde et que nous avons eu l’impression de passer une semaine dans une poubelle, c’était terrible. Je me souviens de Bella et Vipulan, plein d’élans, qui se sont retrouvés en face d’adolescents qui les ont vachement secoués en leur demandant : « Mais qu’est-ce que vous foutez ? ». Bella et Vipulan ont répondu qu’ils participaient à des marches, qu’ils envoyaient des posts sur Twitter et qu’ils continueraient à diffuser le message jusqu’à ce qu’on les écoute. Les jeunes Indiens ont rétorqué que ce n’était pas ça dont ils avaient besoin, et qu’entre brandir des pancartes et mettre des gants, ils avaient vite choisi : « On a besoin que vous nous aidiez à ramasser les déchets, ici, et tout de suite ». 

Bella et Vipulan sont impressionnants de par leur volonté, leur détermination et leur engagement, mais, in fine, n’ont-ils pas trop de pression sur les épaules ?

Complètement. L’idée était justement de leur montrer que c’était un problème systémique, qui était entre les mains des adultes. Et qu’ils n’avaient pas à prendre sur leur dos toute la responsabilité de changer le monde. C’est hypocrite de penser ça, parce qu’on sait très bien qu’aujourd’hui, pour résoudre la question du plastique par exemple, envoyer des gens ramasser sur les plages ne suffit pas. C’est ce qu’on tente de montrer dans le film, il faut vraiment couper le robinet, changer les lois et faire en sorte que les industriels soient responsables de leur packaging, d’un bout à l’autre.

Animal était présent au Festival de Cannes dans la nouvelle section « Films pour le climat »…

Cette nouvelle section, c’est la continuité de ce qu’on avait proposé pour l’édition 2019, où j’avais présenté une tribune signée par plus de 200 réalisateurs, acteurs, producteurs. J’appelais les raconteurs d’histoires à réaliser des films qui nous aident à imaginer le futur différemment, en disant qu’on ne peut pas arriver à construire un monde différent si on ne parvient pas à l’imaginer d’abord, c’est impossible. Or, à ce jour, notre imaginaire est vraiment complètement bloqué sur des récits apocalyptiques et dystopiques. Nous voulions que le cinéma s’empare de ça. Ce qu’on avait jusqu’ici, c’était des documentaires, mais ce qu’on aimerait, c’est que cette sélection continue et qu’elle puisse aussi contaminer les autres sélections pour qu’à l’avenir, il y ait plein de films qui racontent ce genre d’histoires dans tous les festivals.

Est-ce que Cyril Dion était, lui aussi, déjà concerné très jeune par les problèmes écologiques ?

Mais non, c’est aussi ce que je répétais sans cesse à Bella et Vipulan. À la fois, c’est ce qui m’impressionne chez eux, mais ça me fait aussi de la peine. Le fait qu’ils soient déjà dans une certaine forme de gravité et de conscience de tous ces enjeux, c’est incroyable. À seize ans, je pensais plus à boire des bières, à écouter de la musique ou à draguer les filles qu’à sauver le monde ou à réfléchir à des stratégies politiques pour pouvoir engager des rapports de force avec un gouvernement. 

Quel a justement été le point de départ de votre engagement ?

Mon engagement premier, c’était de ne pas aller travailler pour faire de l’alimentaire, ne pas avoir un métier simplement pour gagner de l’argent. J’avais envie de faire quelque chose qui donne du sens à ma vie. Quelque chose qui me donne envie de me lever le matin, qui soit utile pour moi et pour les autres. Nous ne sommes pas sur terre pour être des consommateurs et se contenter d’un métier alimentaire, en attendant les week-ends et les vacances.

Des études démontrent pourtant que 80 % des gens ne sont pas heureux dans leur métier. C’est aussi la conséquence de ce qu’il faut changer, à savoir le modèle du capitalisme ?

Ce qui est intéressant, c’est de voir que ce modèle, qui est en train de détruire le monde vivant, c’est un modèle qui est asservissant aussi pour les êtres vivants que nous sommes, et que là où on peut engager une forme de révolution, c’est justement en refusant le servage. Comme le dit très bien Coline Serreau : « Le salariat, c’est cinq jours de prostitution et deux jours de réanimation ». Ce n’est pas vrai pour tous, mais ça fait réfléchir.

Pourriez-vous revenir sur la légende du colibri, qui est à la base de votre réflexion ?

C’est le point de départ de mon engagement sur ces sujets-là au cinéma. Mais ce qu’on essaie de faire avec Animal, c’est d’aller plus loin, en montrant justement le côté structurel, le côté systémique de tout ça, et que ce n’est pas, simplement, le fait que chacun dans son petit coin apporte sa petite goutte qui va sauver le monde. 

Un jour, dit la légende du Colibri, il y eut un immense incendie de forêt. Tous les animaux, terrifiés, observaient impuissants le désastre, tous sauf le petit colibri, qui allait chercher quelques gouttes avec son bec pour les jeter sur le feu. Les autres animaux, qui l’observaient, lui dirent alors : « Colibri, qu’est ce que tu fais ? Ce n’est pas avec ces gouttes que tu vas éteindre le feu ». Et le colibri répondit : « Je le sais, mais je fais ma part ». C’est une légende amérindienne, qui a été beaucoup caricaturée ces derniers temps, en mode : « Ce n’est pas en faisant sa part que l’on va tout changer ». Mais non, justement, et le colibri le sait, mais il décide de ne pas se résigner, et surtout, de continuer à faire ce en quoi il croit, aussi pour s’aligner avec sa conscience et ses valeurs. C’est ça qui est puissant et qui nous permet d’entrevoir la possibilité que la vie puisse triompher.

Mais quand on sait, par exemple, que plus de 90% de la consommation globale de l’eau incombe à l’agriculture et aux industries, il y a de quoi saper le moral des apprentis écologiques, qui croient changer le monde en passant au vélo ou en prenant des douches ? 

Le problème n’est pas de ne faire les choses qu’à son échelle, c’est même très important. Le vrai problème, c’est de croire que ça puisse suffire. Après, ça ne veut pas dire que ce n’est pas indispensable. C’est nécessaire, à la fois parce que ça a un vrai impact — on considère par exemple que pour le réchauffement climatique, l’action individuelle compte pour un quart — et puis parce que ça engage une transformation culturelle. À partir du moment où les gens refusent qu’on produise des suremballages, refusent d’acheter des voitures à essence, refusent de voter pour un certain nombre de candidats politiques ou refusent une série de boulots, ça aura forcément un impact. C’est une transformation culturelle, qui doit ensuite s’incarner dans une transformation structurelle, et c’est là que les rapports de force entrent en jeu. Cette transformation culturelle, c’est ce que j’appelle les récits, c’est-à-dire des gens qui choisissent de se raconter une autre histoire du futur, une autre histoire de la façon dont on peut vivre ensemble. Ensuite, pour que cette nouvelle histoire s’incarne, ça passe par une forme de rapport de force qui a besoin de s’intensifier.

Il faut surtout commencer par revoir ce modèle économique, qui vise une croissance infinie ?

On a besoin de construire une société axée sur la notion du vivant. C’est ce qu’évoque l’économiste Éloi Laurent dans Animal, lorsqu’il dit que le plus important pour nous, c’est la santé et le lien social. Cela revient à dire qu’il faudrait changer les indicateurs de croissance pour aller vers des indicateurs de santé, qu’il faut faire passer la santé des gens, et donc la protection de la vie et du vivant, avant la croissance économique du PIB. Cela concerne aussi la santé de tous les écosystèmes, car on ne peut pas vivre sainement sur une planète qui s’est réchauffée de plus de 4 °C, où il n’y a plus de pollinisateurs, où les océans ne produisent plus d’oxygène, où les forêts ne sont plus capables de tempérer le climat… Alors, comment arriver à cet objectif ? Ma lecture, c’est qu’à chaque fois qu’il y a eu de grands basculements, trois grands facteurs sont entrés en conjonction. 

Le premier, c’est l’émergence de nouveaux récits, grâce aux raconteurs d’histoires : les artistes, les penseurs, les écrivains, les réalisateurs… Mais aussi grâce aux gens qui décident de vivre différemment, comme ceux qui décident de ne plus manger de viande ou de ne plus prendre l’avion, ou encore les entrepreneurs qui choisissent de développer une industrie qui participe à régénérer un écosystème plutôt qu’à le détruire. Ce sont des nouveaux récits qui fonctionnent et que nous avons mis en avant avec Demain, en allant à la rencontre de gens qui proposaient plein d’histoires différentes, de comment on peut faire de l’agriculture, créer de la monnaie ou repenser l’éducation.

Le second facteur, ce sont les rapports de force. Aujourd’hui, il y a un rapport de force qui s’engage dans la rue, dans des actions en justice à l’encontre des grandes entreprises et des gouvernements, ou avec de la désobéissance civile. C’est le cas de ceux qui appellent à faire du sabotage. Est-ce que construire le plus grand pipeline d’Afrique de l’Ouest en Ouganda, comme le fait actuellement Total, quand on sait les conséquences que ça va avoir sur le réchauffement climatique, n’est pas plus violent que de le saboter ? Certains pensent que le mouvement climat doit aller jusque là.

Enfin le troisième facteur, ce sont les circonstances historiques. Et nous sommes justement en train de traverser une circonstance historique très importante, qui est le changement climatique, et aussi l’extinction de masse des espèces. C’est évident que le climat va devenir le plus grand mouvement civique du XXIe siècle, la question, c’est quand ? Selon moi, on assistera à des basculements quand ces trois facteurs se conjugueront, c’est-à-dire quand des nouveaux récits émergeront, que les gens engageront des rapports de force et que des circonstances historiques très puissantes auront poussé l’ensemble de la société à changer. 

Votre collection « Domaine du possible », lancée chez Actes Sud en 2011, permet justement aux raconteurs d’histoires de changer les récits.

Lorsque je dirigeais le mouvement Colibris, je cherchais un éditeur qui soit d’accord de travailler avec nous pour faire émerger ces idées nouvelles. J’ai mis trois ans à convaincre Actes Sud, parce que c’est une grosse machine et que créer une collection, c’est engageant pour un éditeur. Désormais, je n’ai plus le temps de lire les livres et de travailler avec les auteurs, mais je continue à garder un œil sur la ligne éditoriale et à proposer des titres. C’était la première édition à proposer cette ligne éditoriale. Depuis, elle en a inspiré d’autres, c’est une excellente nouvelle.

Si vous deviez identifier un thème écologique qui puisse servir de lubrifiant social, politique, économique et culturel ?

Si on veut être très pratique, si on se demande ce qu’on peut faire, la base, c’est d’arrêter de manger des produits d’origine animale en si grande quantité. C’est facile et ça a un impact considérable sur le changement climatique, sur la déforestation, et donc sur la disparition des espèces. Après, le thème écologique qui, pour moi, est un vrai lubrifiant, c’est le sens de la vie. C’est le fond du problème : qu’est-ce qu’on veut faire dans notre vie ? Quel est l’objectif de tout ce qu’on entreprend ? Quand on construit des Ikea partout, des nouvelles routes, des nouveaux i-Phones… on va évoquer le progrès, mais au fond du fond, à quoi veut-on arriver au final ? C’est ce qui était intéressant avec Animal, en faisant tout ce trajet, on a compris que le vrai objectif, c’est d’être en vie. J’en reviens à Éloi Laurent, quand il dit que ce qui nous rend heureux, c’est la santé et le lien social. Donc, qu’est-ce qu’on met en place pour essayer de continuer à être en bonne santé? Si on se dit que c’est l’indicateur, et je trouve ça extraordinaire, ça nous oblige à tout repenser, puisqu’on ne peut pas être en bonne santé sur une planète où l’on dégrade tous les écosystèmes. Le deuxième point, c’est le lien social. Comment fait-on pour vivre une vie heureuse, épanouie, en bonne santé, en lien avec les autres et de façon pérenne, afin que les générations futures puissent aussi en profiter ? C’est toute l’équation. Et théoriquement, c’est à ça que devraient s’atteler tous les responsables politiques.

Quels sont les chiffres qui vous rassurent et ceux qui vous dépriment ?

Savoir qu’il y a un million d’espèces qui sont menacées d’extinction, ça me déprime. Au contraire, ce qui me rassure, c’est d’avoir vendu 100 000 exemplaires de mon Petit manuel de résistance contemporaine (rires).

Quels sont vos projets à court terme ?

Mon deuxième recueil de poésie, intitulé À l’orée du danger, sortira bientôt. Je viens aussi de signer un deuxième roman et je vais adapter au cinéma le roman de mon ami Pierre Ducrozet, Le Grand Vertige. Enfin, puisque la musique est l’une des choses que je préfère dans la vie, je vais enfin pouvoir assouvir un vieux fantasme en sortant, en octobre 2023, un album de poésie et rock’n’roll chez Warner, avec Sébastien Hoog, le guitariste d’Izia.

Et pour conclure, vous avez certainement un guilty pleasure ?

Écouter de la musique en voiture… mais au volant d’une voiture électrique bien sûr (rires).

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