Urban Poetic Rock
Writer // Boris Rodesch - Photography // Michel Verpoorten
Musicien, poète, peintre, auteur, plasticien, photographe et graphiste, CharlElie Couture est un artiste pluridisciplinaire, dont la carrière de chanteur explose en 1981 avec un premier album, Poèmes rock, et un énorme tube, "Comme un avion sans ailes". Quarante années ont passé, 1500 concerts à travers le monde, une vingtaine de bandes originales de films, de nombreux livres, une centaine d’expositions, et ce partisan d’un art total est revenu vivre à Paris, après avoir vécu quinze ans à Manhattan, où il tenait sa propre galerie d’art, The RE Gallery.
Nous le retrouvons à la galerie Nardone, à Bruxelles, à l’occasion de son vernissage et de la sortie de son livre, "New York Memories".
Vous dites : "En France, on vit bien mais on s’y sent mal ;
aux États-Unis, on s’y sent mal, mais on vit bien" ?
J’ai dit ça à une époque où New York frémissait et passait son temps à se réinventer, alors qu’aujourd’hui, avec le Covid-19, Manhattan ne ressemble plus à ce qu’elle était, comme je le raconte dans mon livre New York Memories, sorti aux éditions Cherche-Midi. Depuis la crise sanitaire, New York s’apparente à un film de John Carpenter, les gens sont tels des fantômes qui ne savent plus où aller, soit parce qu’ils sont expropriés, soit parce qu’ils vivent tellement au jour le jour, qu’ils se retrouvent comme des populations errantes, à sec. Quand je m’y suis installé en 2004, il y avait encore ce rêve d’un New York de l’art, du rock et de la poésie. Mais très vite, j’ai vu les petites boutiques remplacées par des grandes enseignes et des banques. En une quinzaine d’années, c’est devenu une ville de super business, qui fait la part belle à ce qu’on appelle la nouvelle économie. Les jeux vidéo, la médecine nucléaire, les microfinancements : ces secteurs trouvent à New York un soutien qui leur permettent de prendre des risques. En parallèle, le monde de l’art a sombré, il a perdu l’influence qu’il avait il y a 15, 20 ou 30 ans. À l’époque, tu pouvais arriver à New York avec rien et espérer que tu allais devenir tout. Mais petit à petit, l’argent a pris le dessus. Les grosses galeries travaillent avec des gros collectionneurs et s’intéressent de moins en moins aux artistes émergents. Désormais, quand on arrive à New York, il faut déjà être quelqu’un. Alors, bien sûr, tu peux arriver les mains vides, mais tu vas te faire piquer le peu que tu as.
Et ce New York-là, il ne vous inspirait plus ?
L’énergie si particulière que te donne cette ville est encore présente. Mais ce n’est pas tout d’être là, il faut trouver le moyen d’en profiter. Malgré quinze années de relations amoureuses avec New York, je ne suis jamais parvenu à aligner toutes les faces du Rubik’s Cube. J’ai d’abord cru que je devais me tromper quelque part, avant de réaliser que c’était tout simplement parce qu’il y avait 1500 galeries d’art à New York, dont 300 qui fonctionnent grâce à des capitaux et des fonds privés. Personnellement, j’ai pu vivre de ma peinture — je n’ai pas fait fortune, mais j’ai pu vivre décemment, même si c’était une bataille au quotidien pour payer mon loyer. J’avais mon appartement et ma galerie, qui me servait aussi d’atelier. C’était mon rêve de pouvoir à la fois mélanger le four et la vente du pain. Je tenais à vivre l’expérience de la relation avec le peuple new-yorkais. J’ai rencontré des gens incroyables, issus du monde entier, entre 10 et 20 personnes différentes par jour, qui me racontaient leurs histoires. En les écoutant, j’apprenais aussi à me comprendre moi-même. Finalement, j’ai trouvé une formule qui a le mérite de me définir en tant que peintre, chanteur et auteur :
je suis un Urban Poetic Rock.
Vous êtes considéré comme le fondateur et théoricien du
"Multisme", un courant où les différents médiums communiquent pour faire ressortir une forme d’expression commune ?
Le multisme, c’est surtout une histoire d’énergie. C’est comme un triathlète qui se donne autant sur sa bicyclette, à la nage, ou quand il court. Ces gestes n’ont rien à voir les uns avec les autres, mais c’est parce qu’il va y mettre la même énergie qu’il va arriver au terme du challenge qu’il s’est fixé.
C’est pourquoi, selon vous,
"l’art, c’est l’intention plutôt que la manière" ?
Exactement, la manière c’est plus la question de l’artisanat. L’artisan se pose la question du comment, l’artiste se pose la question du pourquoi. L’art, c’est le fait d’agir avant de réfléchir, tandis que l’artisanat, c’est le fait de réfléchir avant d’agir. L’artisan est comme un archer, il a une idée préconçue de ce qu’il cherche à atteindre. L’artiste, lui, est comme un éclaireur, qui part car il est mû par cette envie d’aller quelque part sans pour autant savoir quel itinéraire il va emprunter.
Un mot sur les œuvres présentées à la galerie Nardone — toutes réalisées à New York — qui mêlent la peinture et la photographie, pour offrir des fenêtres sur la ville, réalistes ou abstraites ?
La peinture, c’est une musique de l’âme ; la photographie, c’est la captation de la réalité. J’aime lorsque les deux cohabitent. La photographie sert de référence au réel, tandis que la peinture devient une sorte de "réinterprétation sonore", qui laisse libre cours à l’interprétation du réel. Comme disait un de mes profs aux Beaux-Arts, un arbre n’est ni triste, ni gai, il est comme on le voit. L’art, c’est aussi cette formalisation d’une émotion, il dépend de ce qu’on ressent. Pour moi, l’art est une question de pressions : impression, compression, expression, dépression. Il faut que ça te presse à l’intérieur, que ça te compresse, et puis, il faut que ça sorte. S’ensuit la dépression (rires).
Malgré le Covid-19, votre actualité est plutôt chargée ?
Au niveau littéraire, deux livres sont sortis : Poète Rock, une biographie très étayée écrite par David Desvérité, et mon livre New York Memories, qui raconte mes quinze années passées à New York, à travers 40 anecdotes. Dans le domaine des arts visuels, il y a cette exposition New York Memo chez Antonio Nardone, et une autre — en stand-by en raison des interdits sanitaires — au Musée de la Chartreuse à Douai, Rimbaud d’aujourd’hui. Une rêverie autour de ce que pourrait être Rimbaud s’il était notre contemporain. J’ai aussi sorti, en novembre dernier, mon 24e album studio, Trésors cachés & Perles rares.
Pour conclure, si vous deviez évoquer vos Brussels Memories ?
Ce sont plutôt des souvenirs nocturnes, et notamment avec Arno au sortir d’un enregistrement au studio ICP où j’ai enregistré plusieurs albums, dont le dernier en date, en 2017, avec Benjamin Biolay. Après nos sessions, disons qu’on allait s’assurer que les bars n’étaient pas fermés.
CharlElie Couture
www.charlelie.com
insta : charleliecouture