Philippe Reynaert

Writer // Boris Rodesch - Photography // Sébastien Van de Walle

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Passé par la presse écrite et le monde de la publicité avant de devenir le critique phare de la RTBF, l’homme aux lunettes blanches, qui a longtemps enchanté les cinéphiles avec ses critiques et ses interviews pointues, est depuis 2001 le directeur de Wallimage, fonds d’investissement wallon dans l’audiovisuel. 

Pollen a rencontré Philippe Reynaert au « Cinés Wellington ».

Votre premier souvenir de cinéma ?

J’ai grandi dans une famille protestante, nous n’allions jamais au cinéma. Le seul film que j’ai vu avant mes 12 ans, c’était « Les dix commandements » car mes parents s’étaient dit que c’était édifiant qu’on aille voir ce film. Pour l’anecdote, quand Moïse, alias Charlton Heston, est descendu du mont Sinaï avec les Tables de la Loi, il m’a fait tellement peur que nous avons dû quitter la salle (rires.) Je me souviens aussi de nos vacances d’été au Coq où quand il pleuvait, ma maman nous emmenait au cinéma voir « La mélodie du bonheur » en cachette de mon père. Heureusement, à 16 ans, j’ai eu la chance d’avoir un groupe d’amis avec de bons goûts cinématographiques qui ont radicalement changé ma perception du cinéma. Nous étions allés voir « Huit et demi » de Fellini à l’Aiglon, à Ixelles. Ce fut le vrai déclencheur. Je suis ressorti de la séance en comprenant toutes les dimensions philosophiques et esthétiques du cinéma. Je suis ensuite devenu un rat de cinémathèque car j’avais l’impression d’avoir perdu 16 ans de ma vie.

Quelle a été votre formation ?

J’ai fait des études de philosophie et lettres avant d’enseigner, mais déjà avec cette idée que je ferais un bon critique cinéma. À la fin de mes études, où l’on commençait à peine à considérer le cinéma comme autre chose qu’un simple divertissement, mon professeur m’a suggéré de rédiger mon mémoire sur le septième art. J’avais presque terminé mes recherches sur Julien Gracq, le romancier français pour lequel j’avais une grande admiration, quand mon prof m’a dit : « André Delvaux a réalisé un film à partir de l’une de ses nouvelles, ’Rendez-vous à Bray’ ». Personne n’avait encore écrit de façon sérieuse sur l’œuvre d’André Delvaux. J’ai relevé le défi et l’université m’a organisé un premier entretien avec le réalisateur belge autour de la projection du film en question. J’ai ensuite profité d’une formation express avec le directeur de la cinémathèque et des professeurs de l’INSAS qui m’ont montré des films tous les matins pendant 4 mois. Ce fut un bonheur total ! En septembre, j’ai présenté mon mémoire intitulé : « De Gracq à Delvaux, d’un langage à l’autre. » Si j’avais rencontré physiquement André Delvaux, il préférait que l’on communique par correspondance. Deux ans plus tard — j’étais enseignant — il m’a téléphoné pour attirer mon attention sur la sortie du numéro 200 du célèbre magazine Positif, numéro dans lequel ils avaient demandé à plusieurs cinéastes des documents inédits. Il y avait des dessins de Fellini, des extraits de scénarios de Chabrol, et André Delvaux, lui, leur avait fourni un article intitulé « Correspondance avec Philippe Reynaert ». J’ai alors compris que j’étais fait pour être critique cinéma. 

Vous devenez ensuite critique cinéma en presse écrite (Les amis du film ou Visions) et en télévision (Le Ciné-Club de Minuit, TéLéCiNéMa, L’envers de l’écran), avant d’accepter un nouveau challenge en 2001…

Rosetta avait reçu la Palme d’or en 1999 et le gouvernement wallon a compris qu’il y avait un sacré potentiel en Belgique. Je venais d’être engagé comme directeur de Wallimage quand Serge Kubla, ministre de l’Économie, est venu me voir : « Il y a du pétrole qui sort du sol en Wallonie et on le regarde couler vers Paris… Votre mission sera de construire des raffineries. » Nous avons commencé à financer des films avec l’obligation pour les producteurs de dépenser l’argent qu’on leur confiait en Wallonie. Si nous avions déjà beaucoup de talents confirmés suite à l’explosion des frères Dardenne, de Poelvoorde ou de Van Dormael, nous n’avions aucune infrastructure et les acteurs étaient obligés de partir s’installer à Paris. Nous avons donc créé une induction de marché. Les producteurs investissaient surtout sur des talents individuels, des comédiens, des scénaristes, des techniciens, et puis peu à peu, nous avons assisté à l’éclosion de sociétés venues s’installer en Wallonie, car il y avait de l’argent à prendre. Désormais, de nombreux films internationaux obtiennent des financements auprès de Wallimage. Nous avons un retour qui oscille entre 400 et 500 %, ce qui signifie que pour 100 000 euros investis dans un film, ils dépensent en moyenne 450 000 euros en Wallonie. Nous avons vu le tissu se constituer et c’est extraordinaire de pouvoir assister à l’explosion de ces nombreux talents qui font le cinéma, que ce soit nos chefs opérateurs qui tournent au top niveau européen et parfois même américain, ou notre réservoir impressionnant de comédiens. Phénomène amplifié par les séries belges qui révèlent de jeunes réalisateurs et qui ont décomplexé le milieu. Wallimage, c’est une satisfaction totale, un conte de fées où l’on récolte au-delà de ce qu’on avait espéré.

Votre avis sur le cinéma d’Éric Toledano et Olivier Nakache ?

Ils réussissent ce qu’il y a de plus difficile, réaliser des films avec des bons sentiments. C’est très intéressant de prendre conscience que des gens qui ont cette forme de pensée positive répondent aujourd’hui à une attente du public qui se réjouit de voir leurs films où les protagonistes posent des actes positifs.

Quel est le bilan de santé du cinéma belge ?

On assiste à un bouillonnement à tous les étages de l’industrie et nous sommes techniquement très armés. Les Dardenne ont ouvert les portes, ils ont été suivis par des réalisateurs comme Bouli Lanners ou Joachim Lafosse, qui sont en passe de devenir de grands cinéastes. Et désormais, il y a aussi une nouvelle génération qui arrive, c’est le côté ultra optimiste. Par ailleurs, j’ai une crainte en constatant qu’au niveau des pouvoirs publics et même du grand public, il n’y a plus le coup de cœur d’il y a 20 ans. On assiste à une sorte de banalisation, alors que nous devons être fiers et continuer à défendre notre cinéma.

Pour conclure, avez-vous des films à conseiller pour la fin d’année ?

« Mon chien stupide », un film à ne pas manquer. Yvan Attal et Charlotte Gainsbourg au sommet de leur art. Deux très grosses claques prises au Festival de Cannes : « Les Misérables » réalisé par Ladj Ly et « Nuestras Madres » qui représente la Belgique à la sélection des Oscars ! « Un monde plus grand » aussi avec une Cécile de France plus convaincante que jamais. Et puis, parce que je suis un fidèle de la saga depuis la fin des années ’70, le dernier épisode de Star Wars bien sûr !