Back on track

Writer // Boris Rodesch - Photography // Sébastien Van de Walle

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Nous avons rencontré Jean-Jacques Cloquet et Mehdi Bayat au stade du Pays de Charleroi. Le premier est un ancien footballeur semi-professionnel, ex-directeur général de Charleroi Airport (BSCA) et futur directeur de Pairi Daiza ; le second est l’administrateur délégué du Royal Charleroi Sporting Club (RCSC) et membre du conseil d’administration de la Pro League. Si les deux hommes évoluent dans des domaines distincts, il y a néanmoins plusieurs similitudes dans les développements du BSCA et du RCSC, deux institutions qui contribuent largement à l’essor socio-économique de la ville. 

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Vous avez connu le club comme joueur et puis comme directeur, comment jugez-vous son évolution ?

Jean-Jacques Cloquet : J’ai vécu de très belles années comme joueur au Sporting, avec notamment une finale de la coupe de Belgique en 1978. Par après, les choses se sont compliquées mais désormais, le club représente à nouveau une superbe vitrine pour la ville. Mehdi et son président l’ont géré à la façon d’une entreprise et ce n’est pas évident. Ils ont su prendre des décisions parfois impopulaires (comme la vente de certains joueurs), mais toujours dans le but d’améliorer la santé du Sporting. Les résultats suivent et le public revient au stade. Je retrouve d’ailleurs l’ambiance et la chaleur qu’il y avait jadis autour des zèbres.

Quelle est justement l’ambiance dans le stade ?

Mehdi Bayat : On compte désormais 7000 abonnés, mais ce chiffre devrait encore augmenter. Nous sommes en train de récupérer une génération de jeunes supporters que mon oncle – l’ancien président du club, Abbas Bayat - avait laissé filer.

JJC : Pendant longtemps, l’ambiance était hostile, il y avait des sifflets, etc. Aujourd’hui, on retrouve une magnifique communion avec les supporters. Il suffit de voir l’ambiance en tribune 4, ils s’amusent comme des fous durant 90 minutes. 


MB : La T4, c’est le reflet de toute la folie que tu peux retrouver à Charleroi. Toutes les classes sociales sont réunies avec une passion commune.


JJC : Il y a 25 nationalités à l’aéroport, que l’on retrouve aussi dans les tribunes les soirs de match. Il y a même un Iranien en tribune d’honneur… (rires.)

Quelles ont été les bonnes décisions afin de remobiliser le public et la région autour du club ?

MB : Lorsque je suis arrivé au club en 2002, mon oncle avait créé une faille énorme entre le Sporting et la ville. J’ai été catapulté directeur commercial et personne ne me connaissait autrement que comme le neveu du patron. J’ai d’abord appris à connaître la ville et la région en allant à la rencontre des Carolos. J’ai ensuite appris mon métier pendant 10 ans et j’ai repris le club en septembre 2012 avec un leitmotiv très clair : rendre le RCSC à sa ville. 

Avec l’étiquette du neveu de l’ancien président… cela ne devait pas être évident ?

MB : C’est clair, mon nom était très lourd à porter. J’ai donc lancé l’opération « Carolos are back ». L’idée était de tourner la page « Abbas Bayat » et d’en réécrire une nouvelle avec les gens de la ville et de la région. J’ai dû faire mes preuves au fur et à mesure, mais quand on fait le bilan, les choses se sont plutôt bien passées. Nous sommes même en avance sur mon plan stratégique 3-6-9.

Votre plan 3-6-9 ?

MB : Puisque les gens ne me connaissaient pas et qu’il y avait un manque de communication entre le club et la ville, j’ai établi un programme à la manière d’un politicien et je suis allé à la rencontre des Carolos pour leur expliquer la mise en place de ce programme sur 3-6-9 ans. C’était la meilleure façon de donner aux supporters et à l’équipe en interne une vision à long terme pour qu’ils aient in fine envie d’aller de l’avant. C’est la même chose pour l’aéroport, qui lui aussi a su se fixer des objectifs.

JJC : Les avions sont plus simples à gérer que les footballeurs, surtout d’un point de vue cardiaque, mais c’est vrai qu’il y a un parallélisme énorme. À l’instar du Sporting, notre plan s’échelonnait sur plusieurs années. Si Mehdi est parvenu à réunir la grande famille des zèbres autour de son projet en s’adressant de la même façon à tous ses membres, nous avons su rassembler la famille de l’aéroport.

MB : Si les 8 millions de passagers qui fréquentent l’aéroport débarquent dans une structure où les gens sont drillés comme des robots et n’arrivent plus à sourire, ça ne serait plus le « friendly airport » tel qu’on le connaît aujourd’hui.

C’est désormais la ville tout entière qui rayonne… Quelle serait la corrélation entre le développement de vos structures et celui de la ville ?

JJC : L’optimisme ! Le Sporting brille dans la compétition nationale et se qualifie régulièrement pour les play-off 1. L’époque où le club se battait tous les ans pour ne pas descendre en division 2 est révolue. Ajoutez-y la success-story de l’aéroport et vous comprendrez que cela crée un esprit positif autour de la ville.

MB : Lorsque je suis arrivé en Belgique en 2002, je ne comprenais pas un tel déclin pour une ville qui historiquement et culturellement était l’une des villes les plus riches d’Europe au début du XXe siècle. Il y a eu les crises successives du charbonnage et de l’acier et Charleroi n’a cessé de couler. Désormais, il y a des fusées au niveau de la croissance de la ville. L’aéroport, le Sporting, le Bio Park, le quartier Rive gauche, mais aussi le BPS 22 ou le musée de la Photographie… Il n’y a pas beaucoup de villes de la même taille dans le monde qui peuvent se vanter d’un tel potentiel de croissance ; nous sommes devenus les maillons d’une chaine positive là où, pendant des années, c’était tout l’inverse.

Quels ont été les principaux investissements au niveau du club ?

MB : Au niveau du stade ou de l’école des jeunes, il n’y a eu aucun investissement infrastructurel pendant trop longtemps. Depuis 2012, nous avons choisi d’investir massivement en fonds propres pour les jeunes, mais aussi pour la rénovation des business seats ou des nouveaux sièges de la tribune d’honneur. Pour gagner la confiance des gens, c’est très important de leur montrer une évolution. C’est la crédibilité de votre projet qui en dépend. On en revient à cette culture du positivisme.

Et le Sporting devient aussi un catalyseur économique pour la région…

MB : Je me souviens d’un match en 2012 contre le FC Bruges où nous avions à peine 36 couverts en business. Aujourd’hui, on ne descend plus jamais en dessous des 500 couverts. Nous comptons 300 sociétés partenaires, qui constituent un vrai écosystème. Au-delà du football, nous avons une responsabilité vis-à-vis de ces sociétés qui se réunissent chez nous pour faire des affaires, nous sommes devenus une porte d’entrée dans la région pour des sociétés extérieures qui voudraient intégrer le marché carolo.

Combien de personnes constituent la famille des zèbres ?

MB : Nous avons 72 temps pleins, dont 25 joueurs professionnels et une dizaine de personnes pour l’école des jeunes, mais aussi une quarantaine d’entraîneurs à mi-temps. Les jours de match, il y a près de 300 personnes qui travaillent directement dans le stade.

Et la famille de l’aéroport de Charleroi ?

JJC : Il y a 750 employés qui travaillent chez nous au quotidien, ce qui représente une croissance fois 10 depuis 2013, où l’on a commencé à quitter cette dépendance à Ryanair en développant de nouveaux modèles, avec des nouvelles compagnies et d’autres destinations. Ensuite, nous avons développé les vols intercontinentaux, qui sont momentanément suspendus, mais nous avons prouvé que nous en étions capables. Le plus significatif a été la création d’emplois, dans une région qui en a bien besoin. À noter, la moyenne d’âge de nos employés est de 35 ans et 90 % d’entre eux habitent dans un rayon de 40 kilomètres. Enfin, si ce n’est pas un critère d’embauche, la majorité de nos employés supportent le Sporting et sont particulièrement fiers d’accueillir les joueurs à l’aéroport lors de leurs déplacements.

MB : Les joueurs ne veulent d’ailleurs plus partir de Zaventem et nous choisissons nos stages en janvier en fonction des destinations proposées par l’aéroport de Charleroi.

JJC : Il faut dire que les joueurs nous le rendent bien. Ils sont particulièrement disponibles et se prêtent volontiers au jeu des selfies ou autographes.

Quelles sont vos adresses fétiches en ville ?

MB : La Manufacture Urbaine. Nous proposons leurs bières dans l’espace VIP. Au regard des risques qu’ils ont pris, c’est notre responsabilité sociétale de les soutenir et de les aider dans leur croissance. Et si INBEV reste notre meilleur partenariat, il y a toujours de la place pour le développement local au Sporting.

JJC : Le Piccolo Bar est une institution depuis de nombreuses années. C’est le petit village gaulois qui résiste à côté de Rive Gauche. J’y suis tous les matins pour prendre mon petit-déjeuner.

Pour conclure, que pourrait-on vous souhaiter de meilleur pour la suite ?

JJC : L’aéroport doit pouvoir accueillir de plus en plus de vols intercontinentaux. Pour y parvenir, nous avons prévu d’agrandir la piste d’ici 2021. Tout sera alors possible…

MB : Soulever le premier trophée de l’histoire du club.