1h22 avec… Jérémie Renier
Writer // Boris Rodesch - Photography // Michel Verpoorten
Du cinéma d’auteur des frères Dardenne aux films intellectuels de François Ozon en passant par le cinéma populaire pour le biopic de Claude François ou encore par l’Argentine de Ricardo Darín… À 37 ans, l’acteur bruxellois compte près de 60 films à son actif. Celui qui vit entre Valence, Paris et Bruxelles est en pleine promotion de son premier long-métrage, Carnivores, un thriller psychologique réalisé avec son frère Yannick Renier, joliment salué par la critique. Boris Rodesch a croisé Jérémie Renier dans le Thalys.
Tu prends souvent le Thalys ?
Beaucoup moins depuis que je passe la moitié de mon temps à Valence. Je prends surtout l’avion.
Te souviens-tu de tes premiers Bruxelles-Paris ?
Je suis venu plusieurs fois pour des essais dans le film de François Ozon, Les amants criminels. Je me souviens aussi d’un séjour à Paris pendant la Coupe du Monde en 1998. Pour te dire à quel point je ne suis pas un mec foot, je ne savais même pas que c’était le Mondial. Tout le monde était dans la rue en train de faire la fête et je ne comprenais pas ce qui se passait. Finalement, j’ai passé la nuit dehors, c’est un souvenir assez fou.
Gamin, tu assouvis ta passion pour le cinéma en regardant Écran Témoin avec ton père…
On regardait le premier film ensemble et il enregistrait le second sur VHS. Le jeu quand j’étais malade, c’était de piocher un film au hasard : 37°2 le matin, La folle journée de Ferris Bueller, Le secret de mon succès… À 12-13 ans, j’avais la chance de pouvoir regarder tous les genres de films.
Quel était ton film favori ?
Je me souviens de L’Odeur de la papaye verte de Trần Anh Hùng. L’esthétique et la sensibilité culinaire, cette façon très sensuelle de filmer la nourriture. Ce film m’avait procuré une sensation d’émerveillement. J’aimais déjà tout ce qui était un peu érotisant. J’ai toujours trouvé que la sexualité était un mode d’expression visuellement intéressant.
Tu étais fan d’un acteur en particulier, une inspiration ?
J’étais sous le charme de Jean-Paul Belmondo, sa gouaille, son charisme et son côté explosif.
À 9 ans, tu passes le casting pour Toto le héros, à 15 ans tu obtiens le rôle dans La promesse. Tes parents étaient derrière toi ?
Ils me soutenaient mais j’étais le moteur. Je ne sais pas pour quelle raison j’avais cette envie et cette curiosité par rapport au monde du cinéma. Mes parents étaient toujours réceptifs sans jamais être poussifs. Ils m’encourageaient et ils me déposaient partout mais ils ne faisaient aucune démarche.
Tu franchis donc la frontière une première fois pour Les amants criminels ?
Oui, et bien plus encore, puisque je tombe amoureux de l’actrice qui joue dans le film. Je décide alors de quitter Bruxelles pour partir vivre à Paris.
Et tu découvres le mode de vie à la parisienne…
C’était dur, je me suis senti très seul. Je vivais avec une femme qui avait 10 ans de plus que moi. Nous étions dans un milieu intellectuel où les mecs lisaient plein de bouquins que forcément, je n’avais jamais lus. Je ne me sentais pas à ma place mais cela m’a permis de grandir. Je me suis ensuite attaché à la ville et aux gens, à la folie de Paris, à son effervescence et son énergie.
À 17 ans, tu arrêtes donc tes études secondaires.
Malheureusement, j’avais du mal avec le système scolaire. J’avais doublé plusieurs fois et les portes du cinéma s’ouvraient à moi. À l’époque, je trainais avec des potes, on sortait beaucoup et Bruxelles était devenu un vice. C’était le bon moment pour partir.
Heureusement, grâce à ton rôle dans La promesse, tu es rapidement considéré comme un acteur prometteur…
J’ai eu la chance de pouvoir toucher très tôt à ce qui m’animait. Le cinéma est vite devenu un but en soi. J’avais toujours l’impression d’être mauvais à l’école, cela me permettait de croire enfin un minimum en moi.
As-tu l’impression d’avoir vécu une enfance de star ?
Non, pas du tout. L’école me cadrait même si je n’y allais pas souvent. J’avais peur de la notoriété, j’étais intimidé et je prenais beaucoup de distance par rapport au regard des gens, aux flagorneries… J’étais plus dans un délire où je déconnais avec mes potes.
Pourtant, rapidement, le métier d’acteur devient plus qu’une envie passagère.
J’ai le sentiment que c’était plus qu’une simple envie mais à l’époque, la production belge n’était pas aussi importante que maintenant. Être acteur de cinéma en Belgique, ce n’était pas envisageable. J’éprouvais davantage l’envie de découvrir le monde du cinéma et de comprendre comment se réalise un film. Le métier d’acteur m’a permis d’approfondir, mais je pensais déjà à réaliser. C’était quelque chose de beaucoup plus excitant.
Tu viens justement de réaliser ton premier long-métrage, c’était comme tu l’imaginais ?
C’était mieux ! J’avais des appréhensions et des craintes avant de commencer le tournage mais les journées se sont enchaînées et je ne me suis en fait jamais autant senti à ma place. C’est super agréable parce que contrairement aux acteurs qui sont constamment dans l’attente et qui dépendent toujours des désirs d’un réalisateur, nous étions, avec Yannick, les moteurs du film.
C’était important de partager ensemble cette première expérience ?
C’était assez jouissif et je n’aurais jamais imaginé pouvoir le faire seul. Me retrouver face à une page blanche et toutes les remises en question que cela comporte, je ne m’en sentais pas capable. L’envie de réaliser ensemble est née sur le tournage du film de Joachim Lafosse, Nue propriété. Nous étions impliqués dans le tournage et nous avons senti qu’il se passait quelque chose entre nous au niveau de la création. Il y a une vraie alchimie, je me sens beaucoup plus fort avec lui. Nos différences sont une richesse et nous sommes complémentaires. On profite aussi du détachement nécessaire pour éviter de se prendre trop au sérieux.
Si Carnivores est un thriller psychologique, initialement cela devait être une comédie.
Oui parce que le sujet nous faisait rire. Deux sœurs actrices, l’une qui réussit et l’autre qui devient son assistante. Il y avait un côté tragique et en même temps très drôle.
Difficile de ne pas voir des similitudes avec votre histoire familiale…
Je n’ai jamais eu conscience de ce qui pouvait se dire, je ne vivais pas à Bruxelles, Yannick faisait le conservatoire et l’on se voyait peu. Il m’a raconté des anecdotes au moment de l’écriture du film, les choses que certaines personnes ont pu lui dire… Il a beau m’aimer comme un frère, il y aurait pu avoir une certaine animosité mais Yannick était trop intelligent et nous en avons aussi beaucoup discuté.
Cloclo, c’est une proposition qui ne se refuse pas ?
C’était à la fois une chance et une crainte de toucher à une figure du patrimoine français. Je n’étais pas certain d’avoir le talent ou l’énergie nécessaire pour l’interpréter. Je redoutais aussi qu’on finisse par nous associer totalement. À un moment donné, je me suis même fait dépasser par le personnage, je me prenais vraiment pour Cloclo… Avec le recul, je pense que cette proposition est arrivée au bon moment parce que plus jeune, j’aurais pu me figer dans le rôle.
Tu ne t’es jamais senti englouti sous le poids d’une telle production ?
Ce n’était pas la première fois, j’avais joué dans des films comme Potiche ou Le pacte des loups. J’ai pris beaucoup de plaisir. Si les grosses productions ont un côté grisant, je prends autant de plaisir en travaillant avec une toute petite équipe. Sur le tournage de Carnivores, on partait en équipe réduite sur certains plans. Cette forme d’intimité offre une liberté agréable dans la création.
Le tournage d’Elefante blanco durant 4 mois en Argentine… Une façon d’oublier Claude François ?
Cela m’a tout de suite remis à niveau. Dès mon arrivée, le réalisateur Pablo Trapero et Ricardo Darín m’ont emmené dans des bidonvilles. Je me suis rappelé que c’était pour ça aussi que je faisais ce métier, pour découvrir ce genre d’endroits où tu prends conscience de la vie bien au-delà de ton métier d’acteur. C’était une expérience unique, un rôle compliqué et une formidable rencontre avec Ricardo Darín.
Quelle a été ta plus belle rencontre grâce au cinéma ?
Il y en a eu plusieurs mais avec Ricardo Darín, c’était particulier. Il parlait 3 mots d’anglais et je parlais 3 mots d’espagnol… J’avais vu deux de ses films et je n’imaginais pas la star qu’il était en Argentine. Il prenait ça avec beaucoup de recul et d’humilité. Il était toujours à l’écoute et d’une grande générosité. C’est quelqu’un que je respecte énormément. Plus récemment, Marthe Keller : elle jouait ma mère dans L’ordre des médecins. C’est une femme forte et ouverte, toujours à l’affût avec un sens de l’humour merveilleux, une très belle personne.
Bruxelles, c’est ta ville et tes racines, Paris c’est le cinéma, mais pourquoi Valence ?
Mon ex-femme voulait partir au soleil. L’idée d’un changement de climat me plaisait et j’avais envie de m’éloigner de Bruxelles. C’est agréable de vivre dans plusieurs pays avec des cultures et des mentalités différentes. Aujourd’hui, mes deux fils vivent avec leur mère à Valence et je les rejoins une semaine sur deux.
Quelles sont tes autres passions ?
J’ai toujours trainé dans le milieu de la nuit, j’étais un gros sorteur et j’avais ce "fantasme" d’ouvrir un jour un établissement qui puisse amener un univers au monde de la nuit. Je voyage beaucoup et j’avais l’impression qu’il manquait un bar à cocktails à Bruxelles. Avec mes associés, nous avons ouvert le Vertigo et le Jalousy. Ils sont plus attachés au projet au quotidien mais j’y garde un œil attentif. Je suis fier de ce qu’ils font et de ce que nous avons mis en place.
Laisser une trace à travers tes films comme acteur, c’est réjouissant ou au contraire plutôt effrayant ?
Les acteurs qui laissent une vraie trace ne sont pas nombreux… Par contre, c’est assez drôle de pouvoir traverser toute sa vie en film. J’ai joué dans des films qui se rattachent à toutes les périodes de ma vie.
Jouer des rôles toujours très loin de ton quotidien, c’est un leitmotiv ?
Pendant longtemps, mon moteur était d’aller vers des choses que je ne connaissais pas. Je m’y suis même un peu perdu. Il fallait toujours trouver un personnage qui soit aux antipodes de qui j’étais et de ce que j’avais déjà fait. Désormais, j’ai envie de retrouver des personnages plus intimes.
Et tu es aussi un réalisateur épanoui… Pourrais-tu envisager d’arrêter ta carrière d’acteur prématurément ?
Je n’ai pas tourné depuis 11 mois, c’est énorme. J’ai parfois l’impression d’avoir fait un tour. J’attends une proposition qui éveille vraiment ma curiosité. J’ai besoin d’être stimulé par un rôle qui soit plus important que mon envie d’écrire.
Une personnalité avec qui tu aimerais être coincé dans le Thalys ?
Mon frère. On peut tout se dire lui et moi. Il n’y a pas de jugement, que de l’amour.
Nous arrivons à Paris… Tu disais ne pas toujours savoir qui tu devais être en interview, rassure-moi, j’étais bien assis en face de Jérémie Renier ?
Jérémie Renier qui fait de la promo. La promotion c’est important, mais ce n’est pas pour ça que j’avais envie d’être acteur. Si j’essaie d’être le plus proche de qui je suis, le fait d’être en représentation, en interview, sur un plateau TV, aux Magritte ou aux César, je ne suis pas nécessairement à l’aise avec tout ça. Mon métier d’acteur, ce n’est pas parler de moi.
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